Nord-est du Laos: Nong Khiaw, Chiang Vieng Thong, Vieng Xai.

Nous évoluons doucement, de villages en villages, dans une contrée reculée et étrange à bien des égards. Nous essayons de nous adapter et de comprendre. Le temps et l'espace prennent de nouvelles valeurs, indéfinissables, les rapports humains deviennent un peu chaotiques. Nous devons commencer à apprendre le laotien pour nous faire comprendre et cependant une forme de communication plus subtile s'installe, plus profonde peut-être car nous ressentons enfin vraiment la douceur et la féminité caractéristiques du coeur de cette Asie secrète, isolée et blessée.

Parcourant les rives de multiples cours d'eau paisibles, dominés par d'immenses et spectaculaires falaises karstiques; traversant milles vallées agricoles dessinées avec finesse par les différentes ethnies montagnardes; cheminant dans la forêt parmi des insectes curieux et élégants et des végétaux foisonnants et étranges; nous nous laissons pénétrer peu à peu par tout autre chose, bien loin de la poésie de la nature et de la beauté des gens, par une histoire lointaine dans l'espace et proche dans le temps (le temps et l'espace n'existent pas), une histoire cruelle et féroce: celle de la guerre du Vietnam.

Ici, alors qu'il n'y avait presque personne et presque rien, tout a été anéanti. Sur plusieurs centaines de kilomètres, rien n'a plus de quarante ans, et même si la vie a repris le dessus avec une vigueur redoublée, la peur rôde. Les fantômes du passé n'ont pas besoin de ressurgir car ils sont bien présents. La jeune paysanne levant un poing nu vers le ciel, défiant les monstres d'acier, est encore là, la porte à côté. Son sourire est timide et inquiet, son humilité est infinie, sa connaissance de l'injustice plus profonde que n'importe où.

Cratère de bombe.

Nous passons trois jours à Vieng Xai, où durant 10 années de pilonnages américains incessants (deux millions de dollars de bombes par jour ou deux tonnes par habitant du Laos), le commandement de l'armée de résistance et d'indépendance laotienne s'est terré, dans un réseau d'immenses cavités, naturelles et artificielles, jusqu'à la libération en 1975. Nous sommes émues de toucher du doigt la souffrance de ce petit peuple face à des volontés si étrangères de domination politique et économique, écrasantes de vulgarité et de brutalité.

Néanmoins nous apprécions énormément la liberté qui nous est donnée car ici, un peu en dehors des centres touristiques, on peut se promener sans guide (sur des sentiers balisés car le pays est truffé d'objets explosifs non désamorcés) dans des paysages extraordinaires, dans des villages simples et beaux ou nous sommes accueillies avec timidité et gentillesse.